Pour tous les gens qui pensent que je n’ai pas d’amis (c’est pas faux), je tiens quand même à dire qu’il y a plus d’une dizaine d’années de cela, j’ai rencontré une sorte d’âme soeur amicale en la personne de C.
La rencontre a eu lieu en territoire étranger, dans la petite bourgade d’Hastings dont les particularités les plus étonnantes sont qu’elle n’est connue que pour être l’endroit où Guillaume le Conquérant – à l’époque Duc de Normandie de son état – vint batailler pour devenir Roi d’Angleterre en 1066 (ce qui explique le nombre de francisations existantes dans notre belle langue britannique) et qu’elle recueille aujourd’hui bon nombre de jeunes en séjour linguistique venant apprendre la langue de Shakespeare avec plus ou moins de succès.
Comme chacune des mes vacances depuis que je partais sans mes parents (un certain nombre de colonies totalement infructueuses dont les activités variées s’étendaient du cirque – quel embarras -, de la musique – bien sûr, en plus de l’Ecole Nationale de Musique et de Danse dans laquelle je devais pratiquer toute l’année scolaire, il n’était que justice que je me retrouve à trimballer ma flûte traversière en vacances, à croire que ce n’était pas des parents que j’avais, mais de cruels tortionnaires – au poney – allez, quoi ! Je déteste les chevaux et la majorité des animaux à moins qu’ils ne soient petits et mignons, comment cela pouvait-il finir autrement que par le fait que je me fasse piétiner sous les sabots d’une de ces créatures de l’enfer engendrant ainsi une phobie totalement irrationnelle et ingérable ?), il fallait que mes géniteurs trouvent une occupation à cette chère tête blonde (une billevesée, moi n’ayant jamais été blonde de toute ma vie – même pas à la naissance, j’étais déjà brune, ou tout du moins chataîn foncé et jamais au grand jamais je n’aurais souhaité changer cela, même si un certain nombre d’études montrent que les blondes ont plus de succès avec les garçons car leur couleur de cheveux, naturelle ou non, se trouve être en minorité parmi les têtes brunes et que cela fait leur charme, mais moi je n’en crois rien. On peut tout juste argumenter qu’exposée régulièrement au soleil – ce que je ne fais plus, pour cause de lucite estivale – certaines mèches de mes cheveux virent au roux, mais jamais ô grand jamais au blond. Sérieux, faut pas déconner) et comme l’apprentissage des langues étrangères étant un univers trop théorique sur les bancs de l’école, il serait bon de me faire deux ou trois semaines au sein d’une famille typiquement anglaise (seul quelqu’un ayant eu ce genre d’expérience peut comprendre à quel point les mots « typiquement anglaise » peut aujourd’hui me faire frémir d’anxiété rétrospectivement) afin d’améliorer ma connaissance de la langue de ce voisin outre-manche.
NDLR : Oui, j’ai des périodes Marcel Proust, c’est-à-dire que – sans comparer mon style au sien, vu que j’écris comme une patate et lui comme un mec au cerveau grillé par l’acide autrement dit comme un génie de la littérature française – j’ai une légère tendance à avoir des envolées lyriques où la ponctuation devient le cadet de mes soucis et où le seul moyen de pouvoir me lire est de commencer par retirer mentalement toutes les parenthèses, tous les apartés et toutes les digressions pour voir la phrase telle qu’elle aurait dû être écrite avant que mes pensées ne viennent perturber le sens de mes paroles. Je sens que vous avez besoin d’un exemple, alors prenons la phrase ci-dessus. Tout y est indispensable, mais retirons le superflu ; par contre non, c’est le contraire tout y est superflu, mais retirons l’indispensable et ça donne :
« Comme chacune des mes vacances depuis que je partais sans mes parents, il fallait que mes géniteurs trouvent une occupation à cette chère tête blonde et comme l’apprentissage des langues étrangères étant un univers trop théorique sur les bancs de l’école, il serait bon de me faire deux ou trois semaines au sein d’une famille typiquement anglaise afin d’améliorer ma connaissance de la langue de ce voisin outre-manche. »
Bon alors, c’est certes plus simple, mais qu’est-ce qu’on se fait chier (et la concordance des temps qui, en temps normal est déjà loin d’être un de mes points forts grammaticalement parlant, est ici joyeusement jetée avec le bébé et l’eau du bain). Je digresse, c’est plus intéressant ; et si vous, lecteurs imaginaires, ne trouvez pas ça plus intéressant, allez donc vous faire foutre (écrivant ça, je m’imagine une bande lecteurs imaginaires assoiffés de sexe et qui poursuivent de leurs assiduités quelques lecteurs inexistants qui ont du mal à ne pas succomber à leurs pulsions primaires de s’accoupler afin de produire des lecteurs mi-imaginaires et mi-existants… où va le monde ?)
Scène :
Nous sommes en 2006, je viens d’avoir 16 ans. Je ne suis ni jolie, ni brillante, ni drôle, ni populaire. Je suis une fille de base, que la majorité des gens vont classer dans la catégorie « ouais, c’est une copine », ou si j’ai de la chance « ouais, elle vient avec nous c’est une copine ». Je suis à Hastings pour trois semaines, je vis dans une famille « typiquement anglaise », je me nourris de packed lunch (la pire nourriture qui soit) et j’attends que le temps passe au milieu de filles et de quelques garçons dont j’ai fait la connaissance. Vivement que je rentre à la maison.
Il y a une fille en particulier. Une fille dont tout le monde parle. En mal. Une fille dont je n’ai pas fait la connaissance, je n’en entends que les ragots qui ne sont pas flatteurs. Elle s’appelle C. Elle danse toute seule, en pleine rue, au son d’une musique que personne ne peut entendre. Je crois que c’est ça qui m’a le plus marqué. Elle danse et elle sourit. Son sourire est assez triste, mais elle a l’air de se foutre de tout et particulièrement de tout ce que les gens peuvent penser d’elle.
Je la regarde rarement. Mon but à moi, c’est de me fondre dans la masse. Je ne veux pas que les gens me remarquent, qu’ils me regardent. Je ne veux pas être différente. Et malgré tous mes efforts, je n’arrive pas à rentrer dans ce moule dans lequel se sont glissés tous ces autres, je suis toujours un peu à l’écart, toujours « ouais, c’est juste une copine ». Je n’appartiens pas au groupe, je n’en fais pas partie. Et ça me rend triste aussi.
C. et moi ne nous sommes jamais parlé. Jusqu’à ce jour où les activités du séjour ont été annulées sans prévenir. Le bus nous a ramenées dans nos familles, et on descend au même arrêt, nos « familles » respectives habitent à quelques rues l’une de l’autre. Je ne sais pas comment elle se sent, mais moi je suis gênée. Je ne sais pas quoi dire, et en plus j’ai le mauvais pressentiment qu’il n’y aura personne dans ma « famille » – après tout, je ne suis pas censée rentrer à cette heure-ci, mais bien plus tard dans l’après-midi. Je ne sais pas si elle l’a senti, mais elle a proposé de m’accompagner jusqu’à ma porte. J’ai sonné plusieurs fois, j’ai cogné plusieurs fois le heurtoir contre la porte – sans réponse. Je m’attendais à passer l’après-midi assise sur perron, quand C. me propose de l’accompagner dans sa famille, afin de les prévenir qu’elle est rentrée, prendre quelques affaires et ressortir, pour rester avec moi. Je suis un peu hébétée, mais je la suis. Nous avons fini par passer l’après-midi ensemble : nous avons parlé, parlé, parlé… REM, Daniel Pennac, ma vie, la sienne. Je ne me souviens que de cela. Mais elle m’a raconté récemment ce dont elle se souvient du lendemain. Le lendemain, en montant dans le bus – pour une nouvelle journée d’aventures palpitantes dans le monde de l’apprentissage de l’anglais – elle était comme toujours assise seule devant. Tout le groupe était à l’arrière. Je suis montée, je l’ai regardée et une fille au fond m’a interpellée pour que je vienne avec eux. Et j’ai répondu : « Non, aujourd’hui je m’assois avec C. » Aujourd’hui, ça ne paraît rien, mais ce jour-là c’était tout. Ce jour-là, je l’ai choisie, elle contre le reste du monde. Et je me suis assise à côté d’elle. On ne s’est plus quittées des quelques jours qu’il nous restait avant de repartir en France.
Aujourd’hui, on est mariées toutes les deux à deux mecs bien et on vit dans des endroits très différents. Mais c’est toujours ma meilleure amie.
C. je t’aime.